• Bonjour, je m'appelle Salomé. J'ai créé ce blog, qui est un journal de bord, parce que je traverse une épreuve difficile et que j'aime écrire ce que je ressens pour m'alléger de tous mes problèmes...

    Je n'ai pas vécu de choses terribles, je n'ai pas perdu un proche récemment, je n'ai pas eu de maladie grave, ou autre chose marquante, et pourtant, je ne me suis jamais sentie aussi mal qu'aujourd'hui. Si seule. Tellement seule que je suis obligée de raconter mes problèmes à des inconnus plutôt qu'à quelqu'un que j'aime.

    J'espère que certains liront mes lignes et qu'ils seront touchés par mon histoire, même si elle est banale. Ce que vous devez savoir avant toute chose, c'est que Salomé n'est pas mon vrai prénom. En fait, dans cette histoire, je vais remplacer tous les noms des personnes qui en font partie par des noms que je choisis, pour ne pas qu'on puisse me retrouver via google.

     

    Les personnages de l'histoire :

    Salomé, moi

    Léo, mon petit frère

    Iris, ma petite soeur

    Nicolas, mon copain

    Louna, ma meilleure amie

    Marco, mon chat


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  • Aout 2012

     

    Dans la voiture à notre gauche, une adolescente regardait dehors d’un air las, le casque sur les oreilles et le front collé contre la vitre. A notre droite, un homme assis sur le siège du passager, d’une trentaine d’années environ, avait étendu ses pieds nus sur le tableau de bord et discutait tranquillement avec la conductrice. Je me suis dit que c’était vraiment étrange d’avoir vu ces deux personnes-là aujourd’hui. La voiture de gauche provenait du 69, et celle de droite du 95. En fait, je me suis dit qu’il n’y avait pas beaucoup de chance pour qu’on se retrouve les trois réunis à cette heure précise, alors qu’on habitait loin et qu’il y avait au moins 60 millions de Français sur la métropole. Je me demandais de quoi pouvait bien parler l’homme de la voiture de droite. Ce devait être une conversation assez simple, car ni lui ni la conductrice n’avait l’air de se prendre la tête. Peut-être qu’ils parlaient du beau temps qu’il avait fait pendant leurs vacances, par exemple. Ou peut-être qu’ils parlaient d’un film qu’ils avaient vu récemment, un truc dans le genre. De même, je me suis demandée ce que la fille d’environ 14 ans, à ma gauche, pouvait bien être en train d’écouter. Elle était assez jolie, mais portait le genre de bijoux et de vêtements que seule une adolescente qui veut faire comme tout le monde pouvait porter. Jeans serrés, décolletés plongeants, baskets à la mode, et plein de petites breloques ridicules aux poignets, aux doigts, au cou, aux oreilles. Ce genre de babioles, j’ai avait acheté et porté quand j’étais au collège. Mais un jour je m’étais dit que c’était ridicule, et à partir de là, tous mes bijoux se sont mis à prendre la poussière au fond d’un tiroir. Je me suis dit qu’une fille comme ça ne pouvait être qu’en train d’écouter des musiques à la mode, musiques sur lesquelles les filles qui font les clips dansent à moitié à poil en tordant du cul sur la plage. Une chose était sûre, je détestais ça.

    Après quelques minutes, je suis sortie de la voiture et j’ai emmené ma petite sœur aux toilettes. Les marches étaient glissantes et l’odeur répugnante, comme d’habitude sur les aires d’autoroute. Bizarrement, ce n’était pas quelque chose qui me donnait le cafard. Je me regardais dans la glace crasseuse au-dessus des lavabos en évitant d’entrer en contact avec quoi que ce soit. Je me suis alors rendue compte que j’avais pris d’énormes coups de soleil dans le dos et que j’avais un bouton sur le front. Mais globalement je passais inaperçue, j’avais l’air d’une fille normale, ce qui était plutôt rassurant. Quand ma petite sœur est sortie, nous sommes entrées dans un magasin alimentaire dans lequel je lui avais promis de lui acheter quelque chose parce qu’elle avait faim et qu’elle s’ennuyait dans la voiture. J’ai voulu acheter du nougat, mais ça coutait six euros. Alors j’ai eu envie d’acheter un paquet de bonbons, mais il n’y en avait pas en dessous de quatre euros. Finalement, j’ai réussi à trouver un sachet de galettes sèches et j’ai pu m’en sortir avec quelque chose de mangeable pour deux euros cinquante. En sortant j’ai pris un café au distributeur, puis j’ai pris ma petite sœur par la main parce que sur les aires d’autoroute, parfois, j’ai remarqué que les gens oublient qu’on n’est pas vraiment sur l’autoroute justement, et qu’on est censés rouler lentement vu qu’il y a des gosses partout. Tout en marchant, je pensais à tous ces gens qui passaient leur code de la route avec succès, en sachant très bien qu’ils ne le respecteraient pas par la suite. Moi-même, parfois, j’ai du mal à respecter certaines limites de vitesse, mais comme je conduis la voiture de mes parents, je fais toujours attention car je sais que ce n’est pas sur mon permis qu’on me retirerait des points si je fais des fautes, mais sur les leurs. Ainsi, il arrive souvent que les voitures derrière moi me fassent des appels de phare parce que je ne roule pas assez vite (selon eux). Dès que la route permet le dépassement, je me fais doubler par plusieurs voitures de suite, et à chaque fois, j’ai l’impression d’être faible et nulle, quand les gens passent devant moi. Parfois, j’ai envie de me mettre à cheval sur la voie de droite et la voie de gauche pour qu’ils ne puissent pas me dépasser, mais c’est interdit. Et parfois j’ai envie de foncer pour tous les doubler et pour reprendre ma place, mais c’est interdit, et surtout, c’est très dangereux. Alors je me contente de les regarder me dépasser, et c’est débile mais parfois ça me donne envie de pleurer.


    « - Tiens Maman, je t’ai rapporté un café.
    - Oh merci mon Ange, c’est une bonne idée, je suis vraiment naze. »


    Depuis l’accident, ma mère ne cessait de m’appeler par des petits surnoms gentils, avec des petits mots doux, et elle me caressait souvent les cheveux quand elle était près de moi. Je me suis dit que c’était dommage d’avoir été obligée d’en arriver là pour que les gens comprennent à quel point j’avais besoin d’affection. Mais c’était de ma faute. Après l’accident, nous sommes partis en vacances pendant cinq jours au bord de la mer méditerranée, sur un bateau. A l’allée, dans la voiture, je ne cessais de ravaler mes larmes en me disant que je ne pourrais jamais réussir à survivre cinq jours là-bas. Mais comme j’aurais été toute seule chez moi si je n’étais pas venue, ça n’aurait pas été mieux de rester. Le soir, lorsque nous sommes arrivées chez la cousine de ma mère, Nathalie, celle-ci nous a demandé pourquoi nous étions autant en retard. Bien sûr, c’était à cause de mon accident, mais comme c’était une honte, il ne fallait pas en parler, et ma mère a prétendu que nous étions allés chez le vétérinaire en urgence parce que Marco, notre chat, s’était fait battre par un chien. En effet, Marco avait bien eu un accident lui aussi, mais c’était la veille que nous étions allés le soigner. Elle avait sûrement raison de mentir à sa cousine, car Marco avait eu un accident moins honteux que le mien, plus naturel. D’ailleurs, ça m’avait fait mal au cœur de le laisser chez mon grand-père, alors qu’il n’arrivait même pas à ouvrir la gueule pour manger. Enfin bref, on est passés tout de suite à table, et on a mangé des pizzas, et je me suis forcée pour finir ma part. Tout en essayant d’avaler chaque bouchée en me disant que non, je n’allais pas vomir, je me suis dit que c’était quand même débile de se forcer alors que mon corps n’avait plus besoin de nourriture, puisque je n’avais plus faim. En fait, j’avais mangé des gâteaux secs dans la voiture parce que ça m’occupait, et maintenant, je n’arrivais pas à avaler mon repas. Il y avait un chat à côté de moi, et lui devait mourir d’envie de manger ma pizza jambon-fromage, et moi je mourrais d’envie de la lui donner, et je trouve que c’était vraiment bête, on aurait pu faire deux estomacs heureux. Après le repas, ma cousine Aline, 14 ans, m’a montré sa bibliothèque en voulant me conseiller des livres. Elle était énorme, mais après qu’elle ait enfin réussi à comprendre que je n’aimais ni les mangas ni la fantaisie, il ne restait plus que les romans d’amour bidon à l’eau de rose. J’ai laissé tomber l’idée de lire un livre ce soir-là.


    Le jour suivant, nous sommes arrivés sur le bateau. Il était minuscule et ça m’a fait peur de me retrouver si confinée avec ma famille. Si j’avais besoin de pleurer, comment j’allais faire ? Sortir sur le pont. Et s’il y avait déjà quelqu’un sur le pont ? Aux toilettes. Et s’il y avait quelqu’un sur le pont, quelqu’un au séjour et quelqu’un aux toilettes ? Ne pas y penser. Un mec est arrivé pour nous expliquer les principales manœuvres à connaître. Il a fait un nœud marin devant mes yeux pour me montrer comment amarrer. C’était tellement compliqué, il y avait des cordes dans tous les sens… Quand j’ai essayé de le refaire, je n’ai pas du tout réussi. Il m’a dit « non, tu ne sais pas faire », puis il est parti plus loin. J’avais envie de lui dire « Eh oh, t’es un peu con non ? Tu crois que je vais retenir du premier coup ? » J’ai regardé la corde et je me suis sentie vraiment trop nulle. Je me suis dit que si j’avais envie de me suicider, je ne saurais même pas comment suspendre la corde et comment faire le nœud ; et je me suis dit que j’aurais l’air débile et que ce serait écrit partout dans les journaux. Au bout d’un moment le mec est revenu et m’a dit « non, ce n’est toujours pas comme ça », alors j’ai répondu « peut-être qu’il faudrait me montrer une deuxième fois… » et ma voix a déraillé sur le « fois », prise d’un petit sanglot. Mais il n’a pas eu l’air de le remarquer parce que c’était le genre de type qui ne voit rien de ce qui sort des clous, si vous voyez ce que je veux dire. Le genre de mec, si tu lui mets un crâne de blaireau sur son bateau, il va se contenter de le déposer sur le pont, sans se demander comment il a pu arriver là. Il s’en fout en fait, ça va pas l’empêcher de naviguer. Heureusement, j’ai eu moins de difficultés à refaire le nœud lorsqu’il m’a fait sa démonstration pour la seconde fois. Ça m’a rassurée, je n’étais peut-être pas si nulle que ça.



    La première nuit que nous avons passé sur le bateau, j’ai eu peur. Il y avait beaucoup de lumière sur le ponton, les voitures passaient juste à côté du canal, les gens faisaient des fêtes estivales dans les maisons qui bordaient la route, et surtout, il faisait une chaleur étouffante. Je dormais sans rien pour me couvrir parce qu’il faisait vraiment trop chaud, mais quand je dors sans rien sur moi, je me réveille sans cesse, en sursaut, parce que j’ai l’impression de ne pas être protégée. Je ne pouvais pas dormir, je n’arrivais pas à respirer, il devait faire au moins 30°C. J’avais envie d’enlever ma peau pour me rafraichir. Alors je suis sortie du bateau, mais il faisait aussi chaud dehors, et il n’y avait pas de vent. J’ai paniqué, paniqué, je ne savais pas où aller pour être bien. Je regardais ma petite sœur qui dormait à points fermés à côté de moi depuis une heure, et j’étais jalouse. J’ai pleuré. Pourquoi c’est toujours moi qui ai des problèmes ? Pourquoi c’est toujours moi qui panique, qui vois le mal partout, qui suis mal dans ma peau ?


    Le lendemain, nous avons navigué jusqu’à 18:00 et nous nous sommes arrêtés à Agde pour y passer la soirée et la nuit. Le soir on a mangé au McDonald, puis sur le chemin du retour, mon frère a voulu se lancer dans une grande conversation philosophique sur la peur. Je déteste quand mon frère fait de la philosophie, parce qu’il parle, parle et parle, et quand j’ai envie de dire quelqu’un chose que je juge intéressant, il n’est jamais d’accord avec moi, mais au lieu de m’expliquer pourquoi il n’est pas d’accord, il me réexpose sa théorie. En fait, je crois qu’il ne m’écoute pas ; d’ailleurs il ne me demande pas « et toi, qu’en penses-tu ? », je suis obligée de lui couper la parole si je veux donner mon avis. Je pense qu’il se contente d’attendre que j’ai fini de parler pour pouvoir reprendre ses grandes explications, qui pour moi ne sont d’ailleurs pas d’une grande maturité, et de plus, qui sont très mal construites. Lorsque qu’il m’a parlé de la phobie, il y a eu plusieurs fois où je l’ai interrompu parce que ce que je n’étais pas d’accord, mais il ne m’écoutait pas parler. Parfois, j’aimerais qu’on m’écoute parler. Parfois, j’aimerais bien me trimbaler avec une pancarte « Hé ho, c’est pas forcément débile ce que je dis non ? ». Mais Léo, lui, ne m’écoute pas. Alors que moi, j’écoute ce que les gens disent, je les observe, j’aime bien les comprendre. Mon frère ne me connait pas du tout. Quand il a dit que les gens qui avaient une phobie étaient des malades mentaux, je n’ai pas pu m’empêcher de répondre : « super, merci. », en riant nerveusement, mais en réalité je me demandais comme j’arrivais à retenir les sanglots au fond de ma gorge. Le « super, merci » est sorti tout seul, avant que je ne me rende compte de la réelle signification qu’il avait. Mais tout ce que mon petit frère de 13 ans a répondu c’est « On te parle d’une vraie phobie Salomé, pas d’une fille comme toi qui a juste peur de se faire piquer par une guêpe. La phobie c’est pas une simple peur.» J’avais envie de répondre, mais je me suis contentée de laisser couler mes larmes derrière lui en silence, en ravalant mes sanglots, parce que de toutes façon il ne comprendrait pas ce que c’est l’émétophobie, et ça le ferait rire, et moi ça m’enfoncerait encore plus. « On te parle d’une vraie phobie Salomé »… Alors comme ça tu sais ce que c’est et pas moi ? Mais Léo-The-Best, tu ne sais pas ce que c’est que de ne pas pouvoir sortir de chez soi sans médicaments, tu ne sais pas ce que c’est que de refuser d’aller à des fêtes juste parce que tu sais que qu’il y aura beaucoup d’alcool, tu ne sais pas ce que c’est de te dire que tu vas adopter des enfants parce que tu ne veux pas être enceinte, tu ne sais pas ce que c’est de redouter l’hiver et la saison des épidémies, tu ne sais pas ce que c’est que d’avoir peur de voir ce qu’affiche la balance, tu ne sais pas ce que c’est d’avoir des amis qui te disent que tu es anorexique ou hypochondriaque, tu ne sais pas ce que c’est lorsqu’une fille regarde ses seins en se demandant s'il est encore utile de porter un soutien-gorge, tu ne sais pas ce que c’est de rester des heures dans le noir, sans pouvoir bouger, juste en te répétant « non, je ne vais pas vomir. »


    Lorsque nous sommes arrivés, j’étais énervée, triste, j’avais chaud, et en plus j’avais mal au ventre. Putain d’émétophobie. Bref, il était 23:30 et j’ai décidé que j’allais prendre une douche avant de dormir, en me disant qu’en fait, le seul être sur terre que j’aimais encore, c’était Marco. A peine ais-je commencé à faire couler de l’eau qu’un son a retenti dans le séjour. Un son aigu, puissant, qui faisait mal aux oreilles. J’ai dû tout de suite arrêter, et hors de moi, j’ai mis mon maillot de bain, je suis sortie pour attraper le tuyau d’arrosage au fond du bateau et prendre une douche froide sur le ponton. Dans le ciel j’ai vu des étoiles, qui ressemblaient plus à des petites taches blanches qu’à des points lumineux, mais malgré ma myopie, j’étais contente. J’avais l’impression que la nature acceptait ma présence. Et puis j’ai pensé à Nicolas, et ne me suis dit que je l’aimais aussi. Petit à petit, mes yeux se sont habitués à l’obscurité et j’ai réussi à discerner de plus en plus d’étoiles ; et à trouver de plus en plus de personnes que j’aimais. Soudain, ma mère a ouvert la porte et m’a dit : « Tu prends ta douche ici ? Maintenant ? Mais t’es tarée, on n’a pas le droit ! », puis elle a claqué la porte. J’ai levé les yeux au ciel, je ne voyais plus les étoiles. J’étais éblouie par la lumière qui avait surgit lorsqu’elle avait ouvert la porte. J’ai reposé le tuyau, ramassé mes affaires, essuyé mon visage sans savoir s’il était mouillé par l’eau ou les larmes, et je me suis dit qu’elle avait tout gâché.


    Le troisième jour, alors que je naviguais sur un lac, ma mère m’a dit : « Ma Sam, qu’est-ce-qui te fait plaisir dans la vie ? ». Les deux premiers mots qui sont venus dans ma tête ont été « Within » et « Temptation ». Mais je n’ai pas répondu tout de suite, parce qu’elle aurait pensé que je prenais sa question à la rigolade. J’ai fini par dire « Il y a plein de petites choses : le soleil dans le ciel, un bonbon, un chat, un sourire d'Iris, Within Temptation, une jolie robe, … ». Ensuite, elle m’a demandé si la croisière en bateau me détendait ou me stressait. J’ai répondu que j’aimais beaucoup naviguer, voir des gens faire des ballades en vélo le long du canal, faire un signe de main aux bateaux qui nous croisent, et voir les poissons sauter dans l’eau. Je ne sais pas pourquoi mais à ce moment-là, j’ai pensé à Cristina Scabbia, au moment où elle tient sa tête entre ses mains à la fin du clip de Our Truth. J’ai ajouté que j’avais peur de ne pas maitriser mes émotions, en particulier si quelqu’un vomissait à bord, et aussi que j’ai cru que j’allais étouffer la première nuit. J’ai raconté à ma mère que l’autre jour, Iris était venue me voir dans ma chambre en me disant qu’elle avait chaud. Je lui avais fait des chatouilles en lui faisant croire que j’allais la jeter dans la piscine. Puis je suis allée à la cuisine pour chercher un BN, et j’ai entendu ma sœur arriver dehors en courant, quand soudain elle a crié « Papa ! Je crois que je vais vomir ! Je me sens pas bien du tout ! ». Figée, j’ai recraché mon BN et j’ai été parcourue d’un frisson depuis les pieds jusqu’à la tête, puis j’ai eu l’impression d’avoir soudain énormément transpiré par tous les pores de ma peau. Mon sang a couru dans mes veines, et je sentais des pulsations irrégulières dans les artères du bout de mes doigts, de mes tempes et de la surface de mes jambes. Je suis montée dans ma chambre, j’ai fermé à clé et j’ai mis Within Temptation. Ne rien voir, ne rien entendre. C’est comme si ça n’existait pas, comme si ça ne se produisait pas.

    Un quart d’heure plus tard, on a frappé à ma porte :
    « - Qui c’est ?
    - Ouvre Sam ! C’est Iris.
    - Qu’est-ce-qu’il y a ?
    - On va partir, tu viens ? Pourquoi tu as fermé à clés ? »
    J’ai ouvert la porte et j’ai dit que j’arrivais mais que j’étais en train d’essayer de vieux sous-vêtements pour voir s’ils m’allaient toujours.
    « - Et alors, ils te vont toujours ?
    - Euh, oui. Enfin, pas tous.
    - T’as grossi ou t’as maigri ?
    - J’ai perdu de la poitrine. Mais c’est pas grave.
    - Sam, moi je crois que j’ai le sein gauche qui pousse !»
    Je culpabilisais. Un jour, Iris avait dit à ma mère : « Quand je suis chez toi tu es ma Maman, mais quand je suis chez Papa, c’est Sam ma Maman ! ». J’aime tellement cette gamine. J’adore lui apprendre des choses, lui faire écouter de la musique, l’embêter, l’entendre raconter des histoires, et surtout j’adore la voir sourire. C’est mon petit rayon de soleil. Mais là, j’étais une sœur indigne. Et j’ai confié à ma mère que l’une de mes grandes peurs serait qu'Iris ait envie de vomir alors que nous sommes seules toutes les deux, parce que je n’arriverais jamais à la voir vomir, mais je me détesterais de la laisser vomir toute seule. Elle m’a répondu que si ça se trouve, ça se passerait super bien et que je serais très fière de moi par la suite. Elle m’a aussi dit que le fait d’y penser maintenant n’avancera à rien, et que souvent sur le fait, la situation est différente de celle qu’on avait imaginée auparavant. J’ai trouvé que c’était très vrai, car avant de partir en vacances, j’imaginais le bateau très différemment. Plus grand.


    Le quatrième jour, nous avons fini de naviguer. Nous avons décidé d’aller dans un centre commercial à Montpellier. Le midi, au Flunch, mon frère m’a demandé ce que je prenais comme boisson :
    « Ice-tea, et toi ?
    - Pepsi. »
    Nous nous sommes servis dans des grands verres au distributeur. Puis en sortant de la caisse, mon frère a dit :
    « - Hé ! C’est pas du pepsi, c’est transparent !
    - Bah retourne-y, lui ai-je conseillé.
    - Tu rigoles ? La honte ! En plus ils voudront jamais !
    - Ecoute, si tu préfères boire ton eau pétillante dégueulasse…
    - Oui, c’est vrai que…
    - Viens avec moi. »
    J’ai pris mon petit frère par le bras et j’ai traversé les caisses en sens inverse. Ils avaient mis du papier transparent sur le distributeur, mais je m’en foutais, je voulais ce pepsi, ce pepsi qu’on avait payé et qu’on n’avait pas eu. J’ai enlevé le plastique parce que j’en avais marre d’être toujours prise pour une conne. Il y avait deux fontaines à pepsi, l’une versait du pepsi, l’autre de l’eau pétillante. Astucieux comme économie. Alors que je remplissais le verre de mon frère, une caissière m’a dit « Eh dis-donc, qu'est-ce-que tu fais ? Tu ne vois pas qu'il y a du plastique ? » Irritée qu’elle me tutoie, je lui ai répondu : « Votre collègue m'a dit que je pouvais me servir, vous verrez avec elle. Et d’ailleurs, il marche très bien. » Puis je suis repassée par les caisses comme si de rien n’était. Mon frère était content de boire son pepsi, et moi j’étais fière de moi. Tellement fière que j’ai mangé toute mon assiette sans problème.


    Le soir, ma mère avait invité Nathalie et Aline à manger des pizzas sur le bateau, et après le repas, on est allés se balader les six dans la ville. Sur le chemin, on a entendu Magic System dans une voiture. J’ai alors dit, distraitement, « J'aime vraiment pas cette musique c'est dingue… ». Aline m’a regardé d’un air malicieux, comme si elle voulait relever un défi, et m’a dit qu’elle non plus, elle n’aimait pas cette merde. Le jeu avait commencé.
    « - Tu écoutes quel genre de musique ? lui ai-je demandé
    - Oh c’est assez spécial, j’écoute du hardcore.
    - Du hardcore ? Du hard-rock tu veux dire ? Ai-je demandé, incrédule.
    - Non, je n’aime pas AC/DC, je n’aime pas ce genre de vieux groupes démodés.
    Un point de moins pour moi.
    - Ah, tu écoutes du death-métal alors ?
    - Oui voilà, c’est un peu ça. Mon groupe préféré c’est XXXXXXX.

    Je ne connaissais pas.
    - Ah, je connais pas, ai-je dit.
    Un point de moins pour moi.
    - ça m’étonne pas que tu ne connaisses pas, a-t ’elle rigolé.
    Un point de moins pour moi.
    - T’écoutes quoi comme trucs que je pourrais connaitre ?
    - Marylin Monson ?

    Je détestais Marylin Monson.
    - Ah ouais, c’est pas vraiment du death-métal… C’est plutôt un vieux mec qui sait pas quoi faire de sa voix et qui est célèbre parce qu’il se déguise tous les jours en mort-vivant.
    Un point pour moi.
    - Bah moi j’aime bien, mais c’est sûr qu’il faut pas être une mauviette pour écouter ça.
    Un point pour elle.
    - Je pense pas être une mauviette, mais j’aime pas quand même. Bon, quoi d’autre à part Mister Gaga ?
    - Slipknot ?
    - Mouais
    - Rammstein ?
    - Ah par contre j'aime bien Rammstein. Mon copain est fan d’ailleurs.
    - Y’aurait d’autres groupes mais je pense pas que tu connaisses de toutes façons. Après c’est vraiment du hard, ça c’est gentil encore.
    Je me suis demandé si elle avait écouté ce que je lui avais dit ou si elle faisait comme Léo.
    - Moi j’en aurais marre d’écouter des gens qui gueulent toute la journée, ai-je remarqué.
    - Tu peux pas comprendre, tu sais pas ce que c’est le metal.
    Pardon ???
    - Euh… Tu m'as même pas demandé ce que j’écoutais… J’ai eu un groupe de metal quand j’étais en terminale S. (J’ai bien insisté sur le fait que j’ai été en Terminale, sur le fait que pour moi, elle n'était qu'une gamine qui passait en troisième.)
    - Bin moi aussi, justement, j’ai un groupe de metal. Je sais chanter comme ça, moi, s’est-elle vanté. »


    En l’entendant parler comme une sale petite prétentieuse égocentrique, je me suis revue quelques mois plus tôt, quand j’avais dit à Chloé, la sœur de Nicolas, que j’écoutais du metal. C’est la classe d’écouter du metal, ça fait genre « Je suis forte, je domine tout ! ». Ce jour-là, j’avais l’impression d’être plus intéressante que Chloé, et c’était ce que je recherchais, car je ne voulais surtout pas qu'elle soit plus intéressante que moi aux yeux de mon copain. Au début de ma relation avec Nicolas, sa sœur était vierge. Elle passait son temps à mettre des photos d’elle et ses copines sur facebook et à y poster des phrases telles que « les mecs c’est tous des cons de toute façon ! ». Je la trouvais nunuche, cruche, pétasse. J’avais l’impression qu’elle avait cinq ans de moins que moi, alors qu’elle n’avait que cinq mois de moins. Mais au moins, elle n’avait pas l’air paumée par rapport à moi. Et puis un jour, elle est venue me dire bonjour et quand je lui ai demandé comme elle allait, elle m’a dit « Oh lala Nico il t’a pas dit ? J’ai cru que j’étais enceinte la semaine dernière, j’avais trop envie de vomir quoi, j’ai eu trop peur ! » Ah. Heureuse d’apprendre ton dépucelage. Puis elle a continué : « Tu fais quoi toi quand tu as envie de vomir et que tu as eu des rapports sexuels ? ». Pffff… jefaismamaligne.com… « Je prends un Vogalène et j’essaye de pas paniquer. », ai-je dit ironiquement, très satisfaite de ma réponse qui était juste mais qu’elle ne comprenait pas dans le bon sens. Elle devait être en train d’essayer de marquer des points pour que j’évite de me hisser à sa hauteur. Je me suis alors rendue compte que je faisais un peu la même chose. C’était bête de dire que j’écoutais du metal, c’est provoquant. D’ailleurs c’était faux, j’écoute du metal symphonique, avec des groupes comme Within Temptation ou Nightwish. A part ça, les seuls groupes de metal que j’écoute sont Metallica et Rammstein, en gros. Pour le reste, j’ai déjà essayé de me forcer à aimer le metal pour avoir la classe, comme j’ai fait pour le café, mais finalement, je crois que j’ai juste envie de mettre un gros pain dans la tronche de la « chanteuse » de Arch Enemy. Là elle gueulera pour quelque chose au moins…

    Au final j’ai juste répondu à Aline : « Eh bien c’est cool, je te souhaite de devenir aussi connue que la chanteuse d’Arch Enemy. » (Je crois qu’elle ne connaissait même pas Arch Enemy). Elle est ensuite allée discuter avec Léo, et la guerre a été encore plus explosive. Lequel des deux était donc le plus intéressant ? (Cf. Norman, les serial mythos à 1 minutes 34)


    Cette nuit-là, j’ai beaucoup réfléchi. Je me suis dit que j’étais peut-être débile de faire semblant d’être intéressante. Mais en tous cas, une chose est sûre, Aline a l’air bien plus heureuse que moi. Je me suis alors demandé si j’aimais vraiment Within Temptation. J’ai pensé à Sinéad, à Jillian, à Jane Doe, à Mother Earth, à Aquarius et à Ice Queen, puis j’ai pensé à Sharon lorsqu’elle chante Forgiven avec sa toute petite voix toute douce toute belle… La réponse était évidente. J’adorais Within Temptation, tout comme Evanescence ou Sirenia. Mais ce n’était sûrement pas le cas pour toutes les musiques dans mon téléphone. Je pense qu’il faut que j’arrête de boire du café, on va commencer par là. De toutes façons, c’est pas bon.


    « - Tu veux un peu de café ma puce ? me demanda ma mère qui était complètement sortie de son demi-sommeil à présent.
    - Euh, non merci. J’aime pas trop en fait, et puis ça me donne un peu envie de vomir en plus.
    - Ah bon ? Je ne savais pas, tiens. Bon, on va pouvoir repartir. »

    L’homme à gauche était sorti de sa voiture et s’étirait en baillant négligemment. Je n’avais pas envie de partir, peut-être que si on discutait on s’entendrait super bien, et je ne le reverrai jamais, il habite à Paris. Et je n’avais pas envie de retourner sur les lieux de l’accident.

     

     

     


    Non j’rigole, c’était pas un accident. Enfin pour moi si, mais pas pour vous. C’était un accident parce que ça ne devait pas se produire mais que j’ai eu une panne dans mon cerveau.

    Avant, j’avais une carapace, voyez-vous. Dans cette carapace, il y avait mon corps, fragile, avec toutes ces émotions que j’arrivais à gérer et à contenir. Et puis le jour de l’accident, il y a eu trop d’émotions, alors la carapace a gonflé dangereusement, puis elle a explosé, dévoilant toute la maigreur de mon corps et la folie de ma tête. Pourtant, ce jour-là, il ne s’était rien passé de spécial par rapport à d’habitude, même si ma mère était un peu stressée à cause du départ. Je crois qu’elle n’avait pas compris combien j’étais fragile avant de me pousser à bout. Après de multiples reproches sur des sujets divers et variés, mon estime de moi-même était devenue négative je crois. Je vivais dans le corps de quelqu’un que je détestais.


    Je pense que vous connaissez ce sentiment : quand on n’arrive pas à supporter quelqu’un, on sort de la pièce, on l’envoie balader, on fait quelque chose pour ne plus l’avoir sur le dos. Eh bien moi, ce jour-là, la personne que je ne pouvais plus supporter, ce n’étais pas Léo pour une fois, c’était moi-même.

    Au moment de l’explosion, je me suis écroulée par terre entre la maison et la voiture, la tête sur le goudron, et j’ai crié. J’ai crié tout ce que j’avais dans le ventre, de façon à ce que le son qui sorte ait l’intensité la plus élevée possible. Le son que j’ai émis n’était pas très aigu, pas très féminin, pas comme dans Bring me to life, mais c’était mon salut. Quelque chose qui voulait sortir depuis très longtemps. A cet instant, plus rien n’avait d’importance. Si personne n’était alarmé par mon cri, j’espérais que crier allait me faire mourir. Mais Nicolas s’est penché vers moi et m’a serré dans ses bras comme il pouvait, en me suppliant de me calmer. Ma mère est arrivée et a dit à Nicolas de me laisser toute seule, parce qu’il fallait que j’apprenne à me contrôler. A ce moment-là, Nicolas a hurlé « NON JE NE LA LAISSERAI PAS ! VOUS VOYEZ PAS CE QUI LUI ARRIVE ? ELLE EST HYSTERIQUE ! IL FAUT FAIRE QUELQUE CHOSE, IL FAUT L’AIDER, IL FAUT PAS LA LAISSER DANS CET ETAT ! » Entendre Nicolas crier avait calmé ma crise. Je me suis relevée, honteuse, tremblante, touchée et choquée que Nicolas ait pu parler à ma mère de cette façon, pour moi. Il me serrait dans ses bras en me répétant « Je suis là ». J'ai dit : « Je déteste ma vie. Nicolas je sais pas quoi faire. J’irai jamais mieux, je suis fichue. » J’avais envie de lui dire que je voulais me suicider, alors je me concentrais pour garder cette idée à l’intérieur de moi, comme si j’essayais de m’empêcher de vomir. J’avais l’impression que les mots pouvaient s’échapper de ma bouche à tout moment, c’était effrayant. Ma mère est revenue, rouge de colère, en me disant : « Marco est malade et il est en train de cuire dans la voiture. On t’attend pour l’emmener chez ton grand-père. De plus, on doit être à 19:00 chez Nathalie. Et ensuite, j’aimerais te dire qu'Iris pleure comme c’est pas permis à cause de toi. Alors merci pour les vacances que tu es en train de gâcher, tu es en train de tous nous détruire par tes sautes d’humeur là, alors si tu restes ici tu écriras une lettre à Léo et une lettre à Iris pour leur expliquer ton comportement inadmissible. Maintenant tu te décides, tu viens en vacances avec nous ou tu restes toute seule ici. » J’ai eu l’impression que ma mère venait de faire tomber mon cœur. Je me sentais nulle de tout gâcher, mais je ne pouvais plus rien faire, je n’étais plus moi-même. Automatiquement, je me suis remise à crier, et j’ai jeté de toutes mes forces ce que je tenais dans ma main : mon téléphone portable, dont la coque s’est brisée. Comme la mienne. Mais plus rien n’avait d’importance, alors autant qu’il meurt en même temps que moi. Je regardais tous les objets autour de moi et je m’imaginais en train de me tuer avec chacun d’eux. Je ne savais pas ce qui me retenait. Ah si, je savais : Nicolas, qui m’emprisonnait toujours dans ses bras. « J’en veux plus de cette vie Nicolas, il faut faire quelque chose. » ai-je sangloté. La voiture a démarré. J’aurais aimé qu’elle roule sur mon portable, mais non, elle est passée au-dessus sans l’écraser. En disant « il faut faire quelque chose », j’ai pensé à Kurt Cobain et je me suis dit que lui au moins, il avait eu une vie super avant de se suicider. Mais Nicolas n’a pas compris la phrase dans ce sens. Il a fait quelque chose. Il a appelé mon père.



    Il se demandait s’il fallait aller à l’hôpital, même si je n’avais pas de dommages corporels. Mais mon père a voulu me parler. Je ne parvenais pas à décrocher un seul mot, car mes sanglots étaient trop violents. Alors mon père m’a dit : « Assieds-toi contre un mur à l’ombre, et respire : inspire, expire, inspire, expire, … » ça a été très long, mais j’ai fini par réussir à parler.
    « Papa, pourquoi tu as fait une fille si nulle ? » ai-je demandé. Ça l’a fait rire, et Nicolas aussi. Mais moi, je trouvais pas ça drôle d’être nulle, et j’aurais bien aimé qu’ils soient une minute à ma place pour comprendre ce que c’était de se haïr. Mon père m’a demandé ce qui me faisait peur. D’habitude, le premier mot qui me vient à l’esprit quand on me parler de peur, c’est « vomir ». Mais là, je n’y ai même pas pensé. Je me suis dit que j’avais peur que ma vie soit nulle pour toujours. Que j’avais peur de ne pas réussir à vivre normalement. Que j’avais peur de ne pas réussir à être heureuse. Que j’avais peur que tout le monde se foute de moi. Que j’avais peur que Nicolas me laisse tomber parce que je suis trop nulle. Que j’avais peur que les gens me jugent parce que je n’ai pas de raison d’aller mal. Après, j’ai pensé à Iris qui pleurait dans la voiture. J’avais peur de l’avoir traumatisée à vie, peur qu’elle ne veuille plus jamais revoir sa sœur hystérique.


    J'ai vraiment l'impression que la nature m'a donné quelque chose en plus qu'aux autres parfois : une certaine lucidité dans ma vision du monde. Les autres ne se posent pas de questions quand ils vivent. Ils se lèvent le matin, ils partent travailler, ils rentrent, ils s'occupent de leur famille, ils mangent... Pourquoi ne suis-je pas capable de faire ça naturellement sans me poser mille et une questions ? Je pourrais aussi me réveiller le matin, prendre mon petit déjeuner, partir à la fac, taper mes cours sur mon ordi, rentrer, travailler, m'aérer en fin d'après-midi, appeler mes parents dans la soirée, me doucher, me coucher... Tout ça sans me poser de questions. Parce qu'il ne devrait pas y avoir de questions, il n'y a aucune raison de s'inquiéter. Mais je me sens faible, comme si je devais fournir d'incroyables efforts pour vivre normalement. Pour moi, chaque jour est une épreuve. Chaque jour je me dis que peut-être que je ne serai pas à la hauteur, pour accomplir n'importe quelle tâche : m'occuper de ma petite soeur, aller à la fac, faire des courses, consoler quelqu'un, répondre au téléphone, aller à une soirée avec des amis, etc.... J'ai sans cesse l'impression de ne pas savoir faire ces choses-là naturellement, et j'ai peur qu'on me le reproche. J'ai peur qu'on me trouve nulle de ne pas savoir faire des choses aussi simples. 


    Souvent, je me dis que la seule chose que je sais faire, que je n'ai pas peur de faire, c'est chanter. J'espère qu'un jour je pourrai être heureuse sans être obligée de me battre pour me prouver que je peux réussir à vivre. Peut-être que je devrais chanter jusqu'à la fin de mes jours.


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    Dans la voiture à notre gauche, une adolescente regardait dehors d’un air las, le casque sur les oreilles et le font collé contre la vitre. A notre droite, un homme assis sur le siège du passager, d’une trentaine d’années environ, avait étendu ses pieds nus sur le tableau de bord et discutait tranquillement avec la conductrice. Je me suis dit que c’était vraiment étrange d’avoir vu ces deux personnes-là aujourd’hui. La voiture de gauche provenait du 69, et celle de droite du 95. En fait, je me suis dit qu’il n’y avait pas beaucoup de chance pour qu’on se retrouve les trois réunis à cette heure précise, alors qu’on habitait loin et qu’il y avait au moins 60 millions de Français sur la métropole. Je me demandais de quoi pouvait bien parler l’homme de la voiture de droite. Ce devait être une conversation assez simple, car ni lui ni la conductrice n’avait l’air de se prendre la tête. Peut-être qu’ils parlaient du beau temps qu’il avait fait pendant leurs vacances, par exemple. Ou peut-être qu’ils parlaient d’un film qu’ils avaient vu récemment, un truc dans le genre. De même, je me suis demandée ce que la fille d’environ 14 ans, à ma gauche, pouvait bien être en train d’écouter. Elle était assez jolie, mais portait le genre de bijoux et de vêtements que seule une adolescente qui veut faire comme tout le monde pouvait porter. Jeans serrés, décolletés plongeants, baskets à la mode, et plein de petites breloques ridicules aux poignets, aux doigts, au cou, aux oreilles. Ce genre de babioles, j’ai avait acheté et porté quand j’étais au collège. Mais un jour je m’étais dit que c’était ridicule, et à partir de là, tous mes bijoux se sont mis à prendre la poussière au fond d’un tiroir. Je me suis dit qu’une fille comme ça ne pouvait être qu’en train d’écouter des musiques à la mode, musiques sur lesquelles les filles qui font les clips dansent à moitié à poil en tordant du cul sur la plage. Une chose était sûre, je détestais ça.

    Après quelques minutes, je suis sortie de la voiture et j’ai emmené ma petite sœur aux toilettes. Les marches étaient glissantes et l’odeur répugnante, comme d’habitude sur les aires d’autoroute. Bizarrement, ce n’était pas quelque chose qui me donnait le cafard. Je me regardais dans la glace crasseuse au-dessus des lavabos en évitant d’entrer en contact avec quoi que ce soit. Je me suis alors rendue compte que j’avais pris d’énormes coups de soleil dans le dos et que j’avais un bouton sur le front. Mais globalement je passais inaperçue, j’avais l’air d’une fille normale, ce qui était plutôt rassurant. Quand ma petite sœur est sortie, nous sommes entrées dans un magasin alimentaire dans lequel je lui avais promis de lui acheter quelque chose parce qu’elle avait faim et qu’elle s’ennuyait dans la voiture. J’ai voulu acheter du nougat, mais ça coutait six euros. Alors j’ai eu envie d’acheter un paquet de bonbons, mais il n’y en avait pas en dessous de quatre euros. Finalement, j’ai réussi à trouver un sachet de galettes sèches et j’ai pu m’en sortir avec quelque chose de mangeable pour deux euros cinquante. En sortant j’ai pris un café au distributeur, puis j’ai pris ma petite sœur par la main parce que sur les aires d’autoroute, parfois, j’ai remarqué que les gens oublient qu’on n’est pas vraiment sur l’autoroute justement, et qu’on est censés rouler lentement vu qu’il y a des gosses partout. Tout en marchant, je pensais à tous ces gens qui passaient leur code de la route avec succès, en sachant très bien qu’ils ne le respecteraient pas par la suite. Moi-même, parfois, j’ai du mal à respecter certaines limites de vitesse, mais comme je conduis la voiture de mes parents, je fais toujours attention car je sais que ce n’est pas sur mon permis qu’on me retirerait des points si je fais des fautes, mais sur les leurs. Ainsi, il arrive souvent que les voitures derrière moi me fassent des appels de phare parce que je ne roule pas assez vite (selon eux). Dès que la route permet le dépassement, je me fais doubler par plusieurs voitures de suite, et à chaque fois, j’ai l’impression d’être faible et nulle, quand les gens passent devant moi. Parfois, j’ai envie de me mettre à cheval sur la voie de droite et la voie de gauche pour qu’ils ne puissent pas me dépasser, mais c’est interdit. Et parfois j’ai envie de foncer pour tous les doubler et pour reprendre ma place, mais c’est interdit, et surtout, c’est très dangereux. Alors je me contente de les regarder me dépasser, et c’est débile mais parfois ça me donne envie de pleurer.


    « - Tiens Maman, je t’ai rapporté un café.
    - Oh merci mon Ange, c’est une bonne idée, je suis vraiment naze. »


    Depuis l’accident, ma mère ne cessait de m’appeler par des petits surnoms gentils, avec des petits mots doux, et elle me caressait souvent les cheveux quand elle était près de moi. Je me suis dit que c’était dommage d’avoir été obligée d’en arriver là pour que les gens comprennent à quel point j’avais besoin d’affection. Mais c’était de ma faute. Après l’accident, nous sommes partis en vacances pendant cinq jours au bord de la mer méditerranée, sur un bateau. A l’allée, dans la voiture, je ne cessais de ravaler mes larmes en me disant que je ne pourrais jamais réussir à survivre cinq jours là-bas. Mais comme j’aurais été toute seule chez moi si je n’étais pas venue, ça n’aurait pas été mieux de rester. Le soir, lorsque nous sommes arrivées chez la cousine de ma mère, Nathalie, celle-ci nous a demandé pourquoi nous étions autant en retard. Bien sûr, c’était à cause de mon accident, mais comme c’était une honte, il ne fallait pas en parler, et ma mère a prétendu que nous étions allés chez le vétérinaire en urgence parce que Marco, notre chat, s’était fait battre par un chien. En effet, Marco avait bien eu un accident lui aussi, mais c’était la veille que nous étions allés le soigner. Elle avait sûrement raison de mentir à sa cousine, car Flocon avait eu un accident moins honteux que le mien, plus naturel. D’ailleurs, ça m’avait fait mal au cœur de le laisser chez mon grand-père, alors qu’il n’arrivait même pas à ouvrir la gueule pour manger. Enfin bref, on est passés tout de suite à table, et on a mangé des pizzas, et je me suis forcée pour finir ma part. Tout en essayant d’avaler chaque bouchée en me disant que non, je n’allais pas vomir, je me suis dit que c’était quand même débile de se forcer alors que mon corps n’avait plus besoin de nourriture, puisque je n’avais plus faim. En fait, j’avais mangé des gâteaux secs dans la voiture parce que ça m’occupait, et maintenant, je n’arrivais pas à avaler mon repas. Il y avait un chat à côté de moi, et lui devait mourir d’envie de manger ma pizza jambon-fromage, et moi je mourrais d’envie de la lui donner, et je trouve que c’était vraiment bête, on aurait pu faire deux estomacs heureux. Après le repas, ma cousine Aline, 14 ans, m’a montré sa bibliothèque en voulant me conseiller des livres. Elle était énorme, mais après qu’elle ait enfin réussi à comprendre que je n’aimais ni les mangas ni la fantaisie, il ne restait plus que les romans d’amour bidon à l’eau de rose. J’ai laissé tomber l’idée de lire un livre ce soir-là.


    Le jour suivant, nous sommes arrivés sur le bateau. Il était minuscule et ça m’a fait peur de me retrouver si confinée avec ma famille. Si j’avais besoin de pleurer, comment j’allais faire ? Sortir sur le pont. Et s’il y avait déjà quelqu’un sur le pont ? Aux toilettes. Et s’il y avait quelqu’un sur le pont, quelqu’un au séjour et quelqu’un aux toilettes ? Ne pas y penser. Un mec est arrivé pour nous expliquer les principales manœuvres à connaître. Il a fait un nœud marin devant mes yeux pour me montrer comment amarrer. C’était tellement compliqué, il y avait des cordes dans tous les sens… Quand j’ai essayé de le refaire, je n’ai pas du tout réussi. Il m’a dit « non, tu ne sais pas faire », puis il est parti plus loin. J’avais envie de lui dire « Eh oh, t’es un peu con non ? Tu crois que je vais retenir du premier coup ? » J’ai regardé la corde et je me suis sentie vraiment trop nulle. Je me suis dit que si j’avais envie de me suicider, je ne saurais même pas comment suspendre la corde et comment faire le nœud ; et je me suis dit que j’aurais l’air débile et que ce serait écrit partout dans les journaux. Au bout d’un moment le mec est revenu et m’a dit « non, ce n’est toujours pas comme ça », alors j’ai répondu « peut-être qu’il faudrait me montrer une deuxième fois… » et ma voix a déraillé sur le « fois », prise d’un petit sanglot. Mais il n’a pas eu l’air de le remarquer parce que c’était le genre de type qui ne voit rien de ce qui sort des clous, si vous voyez ce que je veux dire. Le genre de mec, si tu lui mets un crâne de blaireau sur son bateau, il va se contenter de le déposer sur le pont, sans se demander comment il a pu arriver là. Il s’en fout en fait, ça va pas l’empêcher de naviguer. Heureusement, j’ai eu moins de difficultés à refaire le nœud lorsqu’il m’a fait sa démonstration pour la seconde fois. Ça m’a rassurée, je n’étais peut-être pas si nulle que ça.



    La première nuit que nous avons passé sur le bateau, j’ai eu peur. Il y avait beaucoup de lumière sur le ponton, les voitures passaient juste à côté du canal, les gens faisaient des fêtes estivales dans les maisons qui bordaient la route, et surtout, il faisait une chaleur étouffante. Je dormais sans rien pour me couvrir parce qu’il faisait vraiment trop chaud, mais quand je dors sans rien sur moi, je me réveille sans cesse, en sursaut, parce que j’ai l’impression de ne pas être protégée. Je ne pouvais pas dormir, je n’arrivais pas à respirer, il devait faire au moins 30°C. J’avais envie d’enlever ma peau pour me rafraichir. Alors je suis sortie du bateau, mais il faisait aussi chaud dehors, et il n’y avait pas de vent. J’ai paniqué, paniqué, je ne savais pas où aller pour être bien. Je regardais ma petite sœur qui dormait à points fermés à côté de moi depuis une heure, et j’étais jalouse. J’ai pleuré. Pourquoi c’est toujours moi qui ai des problèmes ? Pourquoi c’est toujours moi qui panique, qui vois le mal partout, qui suis mal dans ma peau ?


    Le lendemain, nous avons navigué jusqu’à 18:00 et nous nous sommes arrêtés à Agde pour y passer la soirée et la nuit. Le soir on a mangé au McDonald, puis sur le chemin du retour, mon frère a voulu se lancer dans une grande conversation philosophique sur la peur. Je déteste quand mon frère fait de la philosophie, parce qu’il parle, parle et parle, et quand j’ai envie de dire quelqu’un chose que je juge intéressant, il n’est jamais d’accord avec moi, mais au lieu de m’expliquer pourquoi il n’est pas d’accord, il me réexpose sa théorie. En fait, je crois qu’il ne m’écoute pas ; d’ailleurs il ne me demande pas « et toi, qu’en penses-tu ? », je suis obligée de lui couper la parole si je veux donner mon avis. Je pense qu’il se contente d’attendre que j’ai fini de parler pour pouvoir reprendre ses grandes explications, qui pour moi ne sont d’ailleurs pas d’une grande maturité, et de plus, qui sont très mal construites. Lorsque qu’il m’a parlé de la phobie, il y a eu plusieurs fois où je l’ai interrompu parce que ce que je n’étais pas d’accord, mais il ne m’écoutait pas parler. Parfois, j’aimerais qu’on m’écoute parler. Parfois, j’aimerais bien me trimbaler avec une pancarte « Hé ho, c’est pas forcément débile ce que je dis non ? ». Mais Léo, lui, ne m’écoute pas. Alors que moi, j’écoute ce que les gens disent, je les observe, j’aime bien les comprendre. Mon frère ne me connait pas du tout. Quand il a dit que les gens qui avaient une phobie étaient des malades mentaux, je n’ai pas pu m’empêcher de répondre : « super, merci. », en riant nerveusement, mais en réalité je me demandais comme j’arrivais à retenir les sanglots au fond de ma gorge. Le « super, merci » est sorti tout seul, avant que je ne me rende compte de la réelle signification qu’il avait. Mais tout ce que mon petit frère de 13 ans a répondu c’est « On te parle d’une vraie phobie Salomé, pas d’une fille comme toi qui a juste peur de se faire piquer par une guêpe. La phobie c’est pas une simple peur.» J’avais envie de répondre, mais je me suis contentée de laisser couler mes larmes derrière lui en silence, en ravalant mes sanglots, parce que de toutes façon il ne comprendrait pas ce que c’est l’émétophobie, et ça le ferait rire, et moi ça m’enfoncerait encore plus. « On te parle d’une vraie phobie Salomé »… Alors comme ça tu sais ce que c’est et pas moi ? Mais Léo-The-Best, tu ne sais pas ce que c’est que de ne pas pouvoir sortir de chez soi sans médicaments, tu ne sais pas ce que c’est que de refuser d’aller à des fêtes juste parce que tu sais que qu’il y aura beaucoup d’alcool, tu ne sais pas ce que c’est de te dire que tu vas adopter des enfants parce que tu ne veux pas être enceinte, tu ne sais pas ce que c’est de redouter l’hiver et la saison des épidémies, tu ne sais pas ce que c’est que d’avoir peur de voir ce qu’affiche la balance, tu ne sais pas ce que c’est d’avoir des amis qui te disent que tu es anorexique ou hypochondriaque, tu ne sais pas ce que c’est lorsqu’une fille regarde ses seins en se demandant s'il est encore utile de porter un soutien-gorge, tu ne sais pas ce que c’est de rester des heures dans le noir, sans pouvoir bouger, juste en te répétant « non, je ne vais pas vomir. »


    Lorsque nous sommes arrivés, j’étais énervée, triste, j’avais chaud, et en plus j’avais mal au ventre. Putain d’émétophobie. Bref, il était 23:30 et j’ai décidé que j’allais prendre une douche avant de dormir, en me disant qu’en fait, le seul être sur terre que j’aimais encore, c’était Marco. A peine ais-je commencé à faire couler de l’eau qu’un son a retenti dans le séjour. Un son aigu, puissant, qui faisait mal aux oreilles. J’ai dû tout de suite arrêter, et hors de moi, j’ai mis mon maillot de bain, je suis sortie pour attraper le tuyau d’arrosage au fond du bateau et prendre une douche froide sur le ponton. Dans le ciel j’ai vu des étoiles, qui ressemblaient plus à des petites taches blanches qu’à des points lumineux, mais malgré ma myopie, j’étais contente. J’avais l’impression que la nature acceptait ma présence. Et puis j’ai pensé à Nicolas, et ne me suis dit que je l’aimais aussi. Petit à petit, mes yeux se sont habitués à l’obscurité et j’ai réussi à discerner de plus en plus d’étoiles ; et à trouver de plus en plus de personnes que j’aimais. Soudain, ma mère a ouvert la porte et m’a dit : « Tu prends ta douche ici ? Maintenant ? Mais t’es tarée, on n’a pas le droit ! », puis elle a claqué la porte. J’ai levé les yeux au ciel, je ne voyais plus les étoiles. J’étais éblouie par la lumière qui avait surgit lorsqu’elle avait ouvert la porte. J’ai reposé le tuyau, ramassé mes affaires, essuyé mon visage sans savoir s’il était mouillé par l’eau ou les larmes, et je me suis dit qu’elle avait tout gâché.


    Le troisième jour, alors que je naviguais sur un lac, ma mère m’a dit : « Ma Sam, qu’est-ce-qui te fait plaisir dans la vie ? ». Les deux premiers mots qui sont venus dans ma tête ont été « Within » et « Temptation ». Mais je n’ai pas répondu tout de suite, parce qu’elle aurait pensé que je prenais sa question à la rigolade. J’ai fini par dire « Il y a plein de petites choses : le soleil dans le ciel, un bonbon, un chat, un sourire d'Iris, Within Temptation, une jolie robe, … ». Ensuite, elle m’a demandé si la croisière en bateau me détendait ou me stressait. J’ai répondu que j’aimais beaucoup naviguer, voir des gens faire des ballades en vélo le long du canal, faire un signe de main aux bateaux qui nous croisent, et voir les poissons sauter dans l’eau. Je ne sais pas pourquoi mais à ce moment-là, j’ai pensé à Cristina Scabbia, au moment où elle tient sa tête entre ses mains à la fin du clip de Our Truth. J’ai ajouté que j’avais peur de ne pas maitriser mes émotions, en particulier si quelqu’un vomissait à bord, et aussi que j’ai cru que j’allais étouffer la première nuit. J’ai raconté à ma mère que l’autre jour, Iris était venue me voir dans ma chambre en me disant qu’elle avait chaud. Je lui avais fait des chatouilles en lui faisant croire que j’allais la jeter dans la piscine. Puis je suis allée à la cuisine pour chercher un BN, et j’ai entendu ma sœur arriver dehors en courant, quand soudain elle a crié « Papa ! Je crois que je vais vomir ! Je me sens pas bien du tout ! ». Figée, j’ai recraché mon BN et j’ai été parcourue d’un frisson depuis les pieds jusqu’à la tête, puis j’ai eu l’impression d’avoir soudain énormément transpiré par tous les pores de ma peau. Mon sang a couru dans mes veines, et je sentais des pulsations irrégulières dans les artères du bout de mes doigts, de mes tempes et de la surface de mes jambes. Je suis montée dans ma chambre, j’ai fermé à clé et j’ai mis Within Temptation. Ne rien voir, ne rien entendre. C’est comme si ça n’existait pas, comme si ça ne se produisait pas.

    Un quart d’heure plus tard, on a frappé à ma porte :
    « - Qui c’est ?
    - Ouvre Sam ! C’est Iris.
    - Qu’est-ce-qu’il y a ?
    - On va partir, tu viens ? Pourquoi tu as fermé à clés ? »
    J’ai ouvert la porte et j’ai dit que j’arrivais mais que j’étais en train d’essayer de vieux sous-vêtements pour voir s’ils m’allaient toujours.
    « - Et alors, ils te vont toujours ?
    - Euh, oui. Enfin, pas tous.
    - T’as grossi ou t’as maigri ?
    - J’ai perdu de la poitrine. Mais c’est pas grave.
    - Sam, moi je crois que j’ai le sein gauche qui pousse !»
    Je culpabilisais. Un jour, Iris avait dit à ma mère : « Quand je suis chez toi tu es ma Maman, mais quand je suis chez Papa, c’est Sam ma Maman ! ». J’aime tellement cette gamine. J’adore lui apprendre des choses, lui faire écouter de la musique, l’embêter, l’entendre raconter des histoires, et surtout j’adore la voir sourire. C’est mon petit rayon de soleil. Mais là, j’étais une sœur indigne. Et j’ai confié à ma mère que l’une de mes grandes peurs serait qu'Iris ait envie de vomir alors que nous sommes seules toutes les deux, parce que je n’arriverais jamais à la voir vomir, mais je me détesterais de la laisser vomir toute seule. Elle m’a répondu que si ça se trouve, ça se passerait super bien et que je serais très fière de moi par la suite. Elle m’a aussi dit que le fait d’y penser maintenant n’avancera à rien, et que souvent sur le fait, la situation est différente de celle qu’on avait imaginée auparavant. J’ai trouvé que c’était très vrai, car avant de partir en vacances, j’imaginais le bateau très différemment. Plus grand.


    Le quatrième jour, nous avons fini de naviguer. Nous avons décidé d’aller dans un centre commercial à Montpellier. Le midi, au Flunch, mon frère m’a demandé ce que je prenais comme boisson :
    « Ice-tea, et toi ?
    - Pepsi. »
    Nous nous sommes servis dans des grands verres au distributeur. Puis en sortant de la caisse, mon frère a dit :
    « - Hé ! C’est pas du pepsi, c’est transparent !
    - Bah retourne-y, lui ai-je conseillé.
    - Tu rigoles ? La honte ! En plus ils voudront jamais !
    - Ecoute, si tu préfères boire ton eau pétillante dégueulasse…
    - Oui, c’est vrai que…
    - Viens avec moi. »
    J’ai pris mon petit frère par le bras et j’ai traversé les caisses en sens inverse. Ils avaient mis du papier transparent sur le distributeur, mais je m’en foutais, je voulais ce pepsi, ce pepsi qu’on avait payé et qu’on n’avait pas eu. J’ai enlevé le plastique parce que j’en avais marre d’être toujours prise pour une conne. Il y avait deux fontaines à pepsi, l’une versait du pepsi, l’autre de l’eau pétillante. Astucieux comme économie. Alors que je remplissais le verre de mon frère, une caissière m’a dit « Eh dis-donc, qu'est-ce-que tu fais ? Tu ne vois pas qu'il y a du plastique ? » Irritée qu’elle me tutoie, je lui ai répondu : « Votre collègue m'a dit que je pouvais me servir, vous verrez avec elle. Et d’ailleurs, il marche très bien. » Puis je suis repassée par les caisses comme si de rien n’était. Mon frère était content de boire son pepsi, et moi j’étais fière de moi. Tellement fière que j’ai mangé toute mon assiette sans problème.


    Le soir, ma mère avait invité Nathalie et Aline à manger des pizzas sur le bateau, et après le repas, on est allés se balader les six dans la ville. Sur le chemin, on a entendu Magic System dans une voiture. J’ai alors dit, distraitement, « J'aime vraiment pas cette musique c'est dingue… ». Aline m’a regardé d’un air malicieux, comme si elle voulait relever un défi, et m’a dit qu’elle non plus, elle n’aimait pas cette merde. Le jeu avait commencé.
    « - Tu écoutes quel genre de musique ? lui ai-je demandé
    - Oh c’est assez spécial, j’écoute du hardcore.
    - Du hardcore ? Du hard-rock tu veux dire ? Ai-je demandé, incrédule.
    - Non, je n’aime pas AC/DC, je n’aime pas ce genre de vieux groupes démodés.
    Un point de moins pour moi.
    - Ah, tu écoutes du death-métal alors ?
    - Oui voilà, c’est un peu ça. Mon groupe préféré c’est XXXXXXX.

    Je ne connaissais pas.
    - Ah, je connais pas, ai-je dit.
    Un point de moins pour moi.
    - ça m’étonne pas que tu ne connaisses pas, a-t ’elle rigolé.
    Un point de moins pour moi.
    - T’écoutes quoi comme trucs que je pourrais connaitre ?
    - Marylin Monson ?

    Je détestais Marylin Monson.
    - Ah ouais, c’est pas vraiment du death-métal… C’est plutôt un vieux mec qui sait pas quoi faire de sa voix et qui est célèbre parce qu’il se déguise tous les jours en mort-vivant.
    Un point pour moi.
    - Bah moi j’aime bien, mais c’est sûr qu’il faut pas être une mauviette pour écouter ça.
    Un point pour elle.
    - Je pense pas être une mauviette, mais j’aime pas quand même. Bon, quoi d’autre à part Mister Gaga ?
    - Slipknot ?

    Je détestais Slipknot, à part leur chanson Snuff.
    - Beurk.
    - Rammstein ?

    J’aimais bien Rammstein.
    - Ah par contre j'aime bien Rammstein. Mon copain est fan d’ailleurs.
    - Y’aurait d’autres groupes mais je pense pas que tu connaisses de toutes façons. Après c’est vraiment du hard, ça c’est gentil encore.
    Je me suis demandé si elle avait écouté ce que je lui avais dit ou si elle faisait comme Louis.
    - Moi j’en aurais marre d’écouter des gens qui gueulent toute la journée, ai-je remarqué.
    - Tu peux pas comprendre, tu sais pas ce que c’est le metal.
    Pardon ???
    - Euh… Tu m'as même pas demandé ce que j’écoutais… J’ai eu un groupe de metal quand j’étais en terminale S. (J’ai bien insisté sur le fait que j’ai été en Terminale, sur le fait que pour moi, elle n'était qu'une gamine qui passait en troisième.)
    - Bin moi aussi, justement, j’ai un groupe de metal. Je sais chanter comme ça, moi, s’est-elle vanté. »


    En l’entendant parler comme une sale petite prétentieuse égocentrique, je me suis revue quelques mois plus tôt, quand j’avais dit à Chloé, la sœur de Nicolas, que j’écoutais du metal. C’est la classe d’écouter du metal, ça fait genre « Je suis forte, je domine tout ! ». Ce jour-là, j’avais l’impression d’être plus intéressante que Chloé, et c’était ce que je recherchais, car je ne voulais surtout pas qu'elle soit plus intéressante que moi aux yeux de mon copain. Au début de ma relation avec Nicolas, sa sœur était vierge. Elle passait son temps à mettre des photos d’elle et ses copines sur facebook et à y poster des phrases telles que « les mecs c’est tous des cons de toute façon ! ». Je la trouvais nunuche, cruche, pétasse. J’avais l’impression qu’elle avait cinq ans de moins que moi, alors qu’elle n’avait que cinq mois de moins. Mais au moins, elle n’avait pas l’air paumée par rapport à moi. Et puis un jour, elle est venue me dire bonjour et quand je lui ai demandé comme elle allait, elle m’a dit « Oh lala Nico il t’a pas dit ? J’ai cru que j’étais enceinte la semaine dernière, j’avais trop envie de vomir quoi, j’ai eu trop peur ! » Ah. Heureuse d’apprendre ton dépucelage. Puis elle a continué : « Tu fais quoi toi quand tu as envie de vomir et que tu as eu des rapports sexuels ? ». Pffff… jefaismamaligne.com… « Je prends un Vogalène et j’essaye de pas paniquer. », ai-je dit ironiquement, très satisfaite de ma réponse qui était juste mais qu’elle ne comprenait pas dans le bon sens. Elle devait être en train d’essayer de marquer des points pour que j’évite de me hisser à sa hauteur. Je me suis alors rendue compte que je faisais un peu la même chose. C’était bête de dire que j’écoutais du metal, c’est provoquant. D’ailleurs c’était faux, j’écoute du metal symphonique, avec des groupes comme Within Temptation ou Nightwish. A part ça, les seuls groupes de metal que j’écoute sont Metallica et Rammstein, en gros. Pour le reste, j’ai déjà essayé de me forcer à aimer le metal pour avoir la classe, comme j’ai fait pour le café, mais finalement, je crois que j’ai juste envie de mettre un gros pain dans la tronche de la « chanteuse » de Arch Enemy. Là elle gueulera pour quelque chose au moins…

    Au final j’ai juste répondu à Aline : « Eh bien c’est cool, je te souhaite de devenir aussi connue que la chanteuse d’Arch Enemy. » (Je crois qu’elle ne connaissait même pas Arch Enemy). Elle est ensuite allée discuter avec Léo, et la guerre a été encore plus explosive. Lequel des deux était donc le plus intéressant ? (Cf. Norman, les serial mythos à 1 minutes 34)


    Cette nuit-là, j’ai beaucoup réfléchi. Je me suis dit que j’étais peut-être débile de faire semblant d’être intéressante. Mais en tous cas, une chose est sûre, Aline a l’air bien plus heureuse que moi. Je me suis alors demandé si j’aimais vraiment Within Temptation. J’ai pensé à Sinéad, à Jillian, à Jane Doe, à Mother Earth, à Aquarius et à Ice Queen, puis j’ai pensé à Sharon lorsqu’elle chante Forgiven avec sa toute petite voix toute douce toute belle… La réponse était évidente. J’adorais Within Temptation, tout comme Evanescence ou Sirenia. Mais ce n’était sûrement pas le cas pour toutes les musiques dans mon téléphone. Je pense qu’il faut que j’arrête de boire du café, on va commencer par là. De toutes façons, c’est pas bon.


    « - Tu veux un peu de café ma puce ? me demanda ma mère qui était complètement sortie de son demi-sommeil à présent.
    - Euh, non merci. J’aime pas trop en fait, et puis ça me donne un peu envie de vomir en plus.
    - Ah bon ? Je ne savais pas, tiens. Bon, on va pouvoir repartir. »

    L’homme à gauche était sorti de sa voiture et s’étirait en baillant négligemment. Je n’avais pas envie de partir, peut-être que si on discutait on s’entendrait super bien, et je ne le reverrai jamais, il habite à Paris. Et je n’avais pas envie de retourner sur les lieux de l’accident.

     

     

     


    Non j’rigole, c’était pas un accident. Enfin pour moi si, mais pas pour vous. C’était un accident parce que ça ne devait pas se produire mais que j’ai eu une panne dans mon cerveau.

    Avant, j’avais une carapace, voyez-vous. Dans cette carapace, il y avait mon corps, fragile, avec toutes ces émotions que j’arrivais à gérer et à contenir. Et puis le jour de l’accident, il y a eu trop d’émotions, alors la carapace a gonflé dangereusement, puis elle a explosé, dévoilant toute la maigreur de mon corps et la folie de ma tête. Pourtant, ce jour-là, il ne s’était rien passé de spécial par rapport à d’habitude, même si ma mère était un peu stressée à cause du départ. Je crois qu’elle n’avait pas compris combien j’étais fragile avant de me pousser à bout. Après de multiples reproches sur des sujets divers et variés, mon estime de moi-même était devenue négative je crois. Je vivais dans le corps de quelqu’un que je détestais.


    Je pense que vous connaissez ce sentiment : quand on n’arrive pas à supporter quelqu’un, on sort de la pièce, on l’envoie balader, on fait quelque chose pour ne plus l’avoir sur le dos. Eh bien moi, ce jour-là, la personne que je ne pouvais plus supporter, ce n’étais pas Léo pour une fois, c’était moi-même.

    Au moment de l’explosion, je me suis écroulée par terre entre la maison et la voiture, la tête sur le goudron, et j’ai crié. J’ai crié tout ce que j’avais dans le ventre, de façon à ce que le son qui sorte ait l’intensité la plus élevée possible. Le son que j’ai émis n’était pas très aigu, pas très féminin, pas comme dans Bring me to life, mais c’était mon salut. Quelque chose qui voulait sortir depuis très longtemps. A cet instant, plus rien n’avait d’importance. Si personne n’était alarmé par mon cri, j’espérais que crier allait me faire mourir. Mais Nicolas s’est penché vers moi et m’a serré dans ses bras comme il pouvait, en me suppliant de me calmer. Ma mère est arrivée et a dit à Nicolas de me laisser toute seule, parce qu’il fallait que j’apprenne à me contrôler. A ce moment-là, Nicolas a hurlé « NON JE NE LA LAISSERAI PAS ! VOUS VOYEZ PAS CE QUI LUI ARRIVE ? ELLE EST HYSTERIQUE ! IL FAUT FAIRE QUELQUE CHOSE, IL FAUT L’AIDER, IL FAUT PAS LA LAISSER DANS CET ETAT ! » Entendre Nicolas crier avait calmé ma crise. Je me suis relevée, honteuse, tremblante, touchée et choquée que Nicolas ait pu parler à ma mère de cette façon, pour moi. Il me serrait dans ses bras en me répétant « Je suis là ». J'ai dit : « Je déteste ma vie. Nicolas je sais pas quoi faire. J’irai jamais mieux, je suis fichue. » J’avais envie de lui dire que je voulais me suicider, alors je me concentrais pour garder cette idée à l’intérieur de moi, comme si j’essayais de m’empêcher de vomir. J’avais l’impression que les mots pouvaient s’échapper de ma bouche à tout moment, c’était effrayant. Ma mère est revenue, rouge de colère, en me disant : « Marco est malade et il est en train de cuire dans la voiture. On t’attend pour l’emmener chez ton grand-père. De plus, on doit être à 19:00 chez Nathalie. Et ensuite, j’aimerais te dire qu'Iris pleure comme c’est pas permis à cause de toi. Alors merci pour les vacances que tu es en train de gâcher, tu es en train de tous nous détruire par tes sautes d’humeur là, alors si tu restes ici tu écriras une lettre à Léo et une lettre à Iris pour leur expliquer ton comportement inadmissible. Maintenant tu te décides, tu viens en vacances avec nous ou tu restes toute seule ici. » J’ai eu l’impression que ma mère venait de faire tomber mon cœur. Je me sentais nulle de tout gâcher, mais je ne pouvais plus rien faire, je n’étais plus moi-même. Automatiquement, je me suis remise à crier, et j’ai jeté de toutes mes forces ce que je tenais dans ma main : mon téléphone portable, dont la coque s’est brisée. Comme la mienne. Mais plus rien n’avait d’importance, alors autant qu’il meurt en même temps que moi. Je regardais tous les objets autour de moi et je m’imaginais en train de me tuer avec chacun d’eux. Je ne savais pas ce qui me retenait. Ah si, je savais : Nicolas, qui m’emprisonnait toujours dans ses bras. « J’en veux plus de cette vie Nicolas, il faut faire quelque chose. » ai-je sangloté. La voiture a démarré. J’aurais aimé qu’elle roule sur mon portable, mais non, elle est passée au-dessus sans l’écraser. En disant « il faut faire quelque chose », j’ai pensé à Kurt Cobain et je me suis dit que lui au moins, il avait eu une vie super avant de se suicider. Mais Nicolas n’a pas compris la phrase dans ce sens. Il a fait quelque chose. Il a appelé mon père.



    Il se demandait s’il fallait aller à l’hôpital, même si je n’avais pas de dommages corporels. Mais mon père a voulu me parler. Je ne parvenais pas à décrocher un seul mot, car mes sanglots étaient trop violents. Alors mon père m’a dit : « Assieds-toi contre un mur à l’ombre, et respire : inspire, expire, inspire, expire, … » ça a été très long, mais j’ai fini par réussir à parler.
    « Papa, pourquoi tu as fait une fille si nulle ? » ai-je demandé. Ça l’a fait rire, et Nicolas aussi. Mais moi, je trouvais pas ça drôle d’être nulle, et j’aurais bien aimé qu’ils soient une minute à ma place pour comprendre ce que c’était de se haïr. Mon père m’a demandé ce qui me faisait peur. D’habitude, le premier mot qui me vient à l’esprit quand on me parler de peur, c’est « vomir ». Mais là, je n’y ai même pas pensé. Je me suis dit que j’avais peur que ma vie soit nulle pour toujours. Que j’avais peur de ne pas réussir à vivre normalement. Que j’avais peur de ne pas réussir à être heureuse. Que j’avais peur que tout le monde se foute de moi. Que j’avais peur que Nicolas me laisse tomber parce que je suis trop nulle. Que j’avais peur que les gens me jugent parce que je n’ai pas de raison d’aller mal. Après, j’ai pensé à Iris qui pleurait dans la voiture. J’avais peur de l’avoir traumatisée à vie, peur qu’elle ne veuille plus jamais revoir sa sœur hystérique.


    J'ai vraiment l'impression que la nature m'a donné quelque chose en plus qu'aux autres parfois : une certaine lucidité dans ma vision du monde. Les autres ne se posent pas de questions quand ils vivent. Ils se lèvent le matin, ils partent travailler, ils rentrent, ils s'occupent de leur famille, ils mangent... Pourquoi ne suis-je pas capable de faire ça naturellement sans me poser mille et une questions ? Je pourrais aussi me réveiller le matin, prendre mon petit déjeuner, partir à la fac, taper mes cours sur mon ordi, rentrer, travailler, m'aérer en fin d'après-midi, appeler mes parents dans la soirée, me doucher, me coucher... Tout ça sans me poser de questions. Parce qu'il ne devrait pas y avoir de questions, il n'y a aucune raison de s'inquiéter. Mais je me sens faible, comme si je devais fournir d'incroyables efforts pour vivre normalement. Pour moi, chaque jour est une épreuve. Chaque jour je me dis que peut-être que je ne serai pas à la hauteur, pour accomplir n'importe quelle tâche : m'occuper de ma petite soeur, aller à la fac, faire des courses, consoler quelqu'un, répondre au téléphone, aller à une soirée avec des amis, etc.... J'ai sans cesse l'impression de ne pas savoir faire ces choses-là naturellement, et j'ai peur qu'on me le reproche. J'ai peur qu'on me trouve nulle de ne pas savoir faire des choses aussi simples. 


    Souvent, je me dis que la seule chose que je sais faire, que je n'ai pas peur de faire, c'est chanter. J'espère qu'un jour je pourrai être heureuse sans être obligée de me battre pour me prouver que je peux réussir à vivre. Peut-être que je devrais chanter jusqu'à la fin de mes jours.


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